Discours de Monsieur Denis CONUS, Préfet du Gers
L’Education est l’une des missions essentielles de l’Etat. Depuis 200 ans,
l’Etat distingue celles et ceux qui ont œuvré avec talent, dévouement et mérite, au service de cette mission en leur attribuant les Palmes Académiques.
Je ne reviendrais pas sur l’histoire des Palmes Académiques dont la dernière étape remonte à 1955.
 Je note que lors de la suppression de nombreux ordres ministériels en 1963, au moment de la création de l’Ordre National du Mérite, l’Ordre des Palmes Académiques a été maintenu, ce qui montre l’attachement
de l’Etat à la reconnaissance de celles et ceux qui ont bien servi l’Education, c’est-à-dire la jeunesse.
L’insigne actuel se compose d’une double palme (argent ou or suivant le grade) aux feuilles émaillées de violet. Pourquoi la couleur violette du ruban ? Cette couleur a toujours été celle de la connaissance et de la sagesse. Elle désigne également l’autorité.
La connaissance, la sagesse, l’autorité, trois mots qui mettent bien en valeur les exigences du métier d’enseignant.
Les valeurs de votre association sont celles de la République :
Liberté, égalité, fraternité.
Discours

    Comment ne pas rappeler la place des enseignants dans l’affirmation du principe républicain et l’édification de la République ?
                Qu’il s’agisse de l’égalité des chances, de l’unité nationale ou de la cohésion sociale, notre pays doit beaucoup aux enseignants.
                Former des citoyens, transmettre le savoir, donner les moyens d’une bonne intégration à la société, la tâche est vaste, lourde, souvent difficile et la réussite repose sur la volonté, l’ardeur, la persévérance de celles et ceux qui assurent cette mission.
                Rien n’est jamais acquis. L’effort doit être permanent. La société, l’Etat, les parents attendent beaucoup de l’école, parfois au-delà de la stricte mission éducative.   
   
                Lorsque votre Présidente m’a proposé d’organiser à la préfecture une manifestation pour le bicentenaire de la création des Palmes Académiques au cours de laquelle le dictionnaire des « Justes » serait remis aux chefs d’établissements d’enseignement secondaire, j’y ai vu une nouvelle preuve des valeurs que porte votre Association et le corps enseignant.
                Vous avez voulu donner un sens fort à ce bicentenaire. Offrir un livre, support privilégié de la connaissance, à un établissement d’enseignement est un beau geste. Offrir le dictionnaire des « Justes » c’est faire vivre celles et ceux de nos compatriotes qui ont sauvé l’honneur de la France lors de la Shoah, crime contre l’humanité, en aidant des êtres humains à échapper à la barbarie parce qu’ils étaient juifs.                           

                Peu après la création de l’Etat d’Israël, le Parlement a promulgué une loi instituant le Mémorial Yad Vashem à Jérusalem pour honorer la mémoire des martyrs de la Shoah et avec la volonté de distinguer les non-juifs ayant risqué leur vie et celle de leurs proches pour sauver des juifs.
                Depuis les années 60, des milliers de sauveteurs ont été reconnus comme « Juste » parmi le Nations.
                Comme les héros de la France Libre, comme les résistants, ils ont agi pour la dignité humaine.
                Quelle heureuse initiative d’offrir à des établissements d’enseignement, lieux privilégiés de respect et de tolérance, ce dictionnaire.

     Cette cérémonie m’a conduit à lire ou à relire des documents sur cette sombre période de notre histoire qui aurait pu marquer la fin de l’histoire de notre pays. Lire l’ouvrage de Marc BLOCH « L’étrange défaite » qui explique l’effondrement matériel, politique, moral de la France en 1940, permet de comprendre qu’un pays, une grande puissance, le pays qui a inventé les droits de l’homme, une terre d’accueil peut collaborer avec un ennemi habité par une idéologie criminelle.
                L’impuissance des élites du pays a été effrayante, Marc BLOCH a été un immense historien français juif, résistant, fusillé par les nazis.

                Comment un tel effondrement, un tel reniement de son passé, de sa tradition d’accueil a-t-il été possible ?
                A cette question, historiens, intellectuels, ont tenté d’y répondre.
                Mais il est une question sans réponse qui nous concerne tous : qu’aurais-je fait dans de telles circonstances ?
                Les « Justes » ont choisi. Ils ont permis de sauver des vies en risquant la leur.

                 Jean MOULIN, dont la cour d’honneur de la Préfecture porte le nom, a choisi comme bien d’autres.
                Monsieur SALIEGE, archevêque de Toulouse, dans sa lettre du 23 août 1942 a lui aussi choisi. Je le cite : « Les juifs sont des hommes, les juives sont des femmes. Les étrangers sont des hommes, les étrangères sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères, contre ces mères de famille 
                Cette lettre a eu un écho considérable.

    Comment ne pas mentionner l’action des résistants pour que la France redevienne une République, un pays libre, une terre de démocratie, respectueuse des libertés individuelles et publiques. Dans notre département, les maquisards tués à Castelnau d’Auvignon et ceux de Meilhan avaient eux aussi choisi le camp de la liberté.
                Sur les 75721 juifs déportés depuis la France, 2000 revinrent. Si la communauté juive n’a pas été totalement anéantie à la différence de ce qui s’est passé, surtout en Europe de l’Est, c’est parce que les Justes ont agi, et d’autres, qui par leur silence, en ne pratiquant pas la délation, ont évité des arrestations.

                Dans le Gers, des centaines de juifs étaient réfugiés.
                            90 ont été arrêtés lors de la rafle du 26 août 1941,
                            22 le 24 février 1943,
                            35 à d’autres dates.
                              7 sont revenus de déportation.

             J’ai scrupule à rappeler devant un public aussi averti quelques dates :

          -         27 septembre 1940 : ordonnance allemande sur le recensement de la population juive effectué par l’administration française.

          -         3 octobre 1940 : premier statut des juifs (propre initiative du gouvernement de Vichy) ; un texte définit juridiquement les juifs.

          -         4 octobre 1940 : les préfets peuvent interner les étrangers de « race juive »

          -         29 mars 1941 : création du commissariat général aux questions juives.

          -         2 juin 1941 : second statut des juifs.

             Ces textes donnent une base juridique, je n’ose dire légale, aux interdictions professionnelles (un français juif ne pouvait pas être préfet ou enseignant) à la confiscation des biens, à la surveillance, aux arrestations.

         -         27 mars 1942 : premier convoi de déportation

         -         17 août 1944 : le dernier convoi de déportés quitte Drancy.

              -         Dès le 11 novembre 1940, de Gaulle avait écrit de Libreville au congrès juif mondial que le statut des juifs n’aurait aucune validité dans la France libre. Il fustige la violation par Vichy : « Des principes de liberté et de justice égale, sur lesquels la République française était fondée ».

   Le 16 juillet 1995, à l’emplacement actuel de l’ancien vélodrome d’hiver, lors des cérémonies commémoratives de la grande rafle du 16 juillet 1942, le Président de la République a déclaré : « Ces journées noires souillent à jamais notre histoire et sont injure à notre passé et à nos traditions »
            C’est dans ce discours que le Président de la République a reconnu que la « folie criminelle de l’occupant a été « secondée » par des Français, par l’Etat français ».

   Les Justes gersois nous inspirent le plus grand respect. Héros anonymes, ils ont sauvé des vies au péril de la leur. La reconnaissance des Justes exige un long et patient travail. Beaucoup ne peuvent être reconnus parce que les familles qu’ils protégeaient ont été déportées et assassinées.
            Cette après-midi sera honorée Léa DAUGA, qui a protégé la famille LEVY. Ce sera un moment important. Le signe qu’il ne faut pas désespérer de l’humanité même dans les circonstances les plus tragiques.
            Dans le Gers, en France, dans bien d’autres pays, des hommes et des femmes, dans toutes les classes sociales, dans toutes les professions, de toutes les convictions, ont fait un choix digne et courageux. Tous connaissaient les risques.

    Le 18 janvier 2007, au Panthéon, le Président de la République, à l’occasion de la cérémonie nationale en l’honneur des Justes de France a déclaré : « Vous, Justes de France, vous avez transmis à la nation un message essentiel pour aujourd’hui et pour demain : le refus de l’indifférence, de l’aveuglement. L’affirmation dans les faits que les valeurs ne sont pas des principes désincarnés, mais qu’elles s’imposent quand une situation concrète se présente et que l’on sait ouvrir les yeux »
            L’Histoire d ‘une Nation n’est pas toujours heureuse ni glorieuse.
            Pourtant, nous sommes héritiers de toute son histoire qu’il faut connaître pour l’assumer. Lors des cérémonies de naturalisation, cette dimension de la citoyenneté est mise en valeur.
            C’est pourquoi, il n’est pas acceptable que dans certains établissements situés dans de grosses agglomérations, les enseignants se heurtent à des réactions lorsqu’ils parlent de la Shoah. La Shoah est une donnée de notre histoire. Il faut connaître. Savoir ce qu’a été la Shoah en Europe et particulièrement en France n’a rien à voir avec les convictions politiques, les croyances (celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas comme l’écrivait Alain MALRAUX) ou l’actualité du moment.

   Comment un pays, une terre d’accueil, dont le génie doit tant à ses compatriotes juifs, a-t-il pu sombrer ?
            L’Ecole est le lieu où quotidiennement les enseignants transmettent le savoir, les valeurs de la vie collective, la tolérance, le respect.
            Le combat quotidien contre l’ignorance, la méconnaissance, les préjugés, doit nous préserver de toute discrimination fondée sur la race, la religion, la nationalité. C’est le socle de notre République, de notre vivre ensemble.
            La Shoah, c’est l’assassinat massif, le génocide d’êtres humains, pas pour ce qu’ils ont fait mais pour ce qu’ils sont.
            Le grand danger, c’est l’oubli, la banalisation, l’enfouissement dans les sables de l’histoire. D’où l’importance de la transmission des connaissances et des cérémonies en l’honneur des Justes.

Merci à l’Association des Palmes Académiques pour sa belle et heureuse initiative.



Discours Préfet